Anticiper. C’est aussi le maître mot qui guide la réflexion du Pr Jean-François Delfraissy. Médecin immunologiste, pionnier de la lutte contre le sida, spécialiste d’Ebola, il aimerait prédire les prochaines crises sanitaires pour pouvoir mieux les prévenir.
Car la question n’est pas de savoir si une crise sanitaire nous menace mais quand elle surviendra !
Sommes nous prêts ? Rien n’est moins sûr !
La crise d’Ebola en est un bon exemple. « C’était il y a 3 ans, en octobre 2014. Je venais d’être nommé délégué interministériel pour Ebola ». La crise avait débuté tranquillement en Guinée et dans deux autres petits pays au bout du monde. Elle entraînait des cas dramatiques de fièvre hémorragique suivis dans 70 % des cas par un décès. Depuis avril MSF avait lancé l’alerte et demandé des secours. « On ne s’était pas trop inquiétés. Ebola, nous le connaissions depuis une quarantaine d’années. Il provoquait à chaque fois de petites épidémies, quelques milliers de morts et cela s’arrêtait, faute de combattants. »
Mais cette fois-ci les choses se révèlent différentes ! Les premiers cas d’Ebola importés en Amérique du Nord et en Europe font la Une des journaux. Et si l’épidémie se généralisait ? L’OMS lève des fonds. Dans l’urgence, des centres de traitement sont créés dans les 3 pays concernés. Des mesures prophylactiques sont mises en place, notamment l’enterrement des défunts à la chaux vive. Ces mesures, contraire à la tradition et à la religion, heurtent les populations locales qui reçoivent les ONG à coups de pierre…
Pour parvenir à stopper l’épidémie, il fallait comprendre quel était le réservoir animal du virus, pourquoi 30 % des patients survivaient, trouver des traitements, tenter la vaccination, mais aussi réfléchir à l’environnement humain et social afin que les mesures prophylactiques puissent être appliquées.
Un travail colossal va permettre de trouver le vecteur (la chauve-souris), de l’étudier, de séquencer le virus, d’identifier à partir de ce séquençage un médicament contre la grippe qui était un bon candidat contre Ebola, d’entamer un large essai vaccinal à partir d’un vaccin mis au point par l’armée américaine, d’analyser les réponses immunitaires des survivants… Mais également de comprendre comment l’épidémie avait commencé…
« On a étudié en multidisciplinaire avec des anthropologues, des géographes. Il semblerait que la déforestation ait conduit les villages à se rapprocher du réservoir, à savoir les chauve-souris ». En parallèle, la croissance économique de ces pays, à l’époque à 8 % /an avait amené les populations à se déplacer beaucoup plus, à utiliser le taxi-brousse et donc à disséminer le virus.
Notre seule certitude : il y aura une autre crise sanitaire dans les années qui viennent. On ne peut pas prédire quel sera le virus mais on peut prévoir anticiper et mettre en place des outils pour essayer d’anticiper une réponse rapide.
La France est-elle prête ? Rien n’est moins sûr. « Les crises sanitaires ne doivent pas être seulement laissées aux médecins mais discutées avec les politiques » rappelle le Pr Delfraissy, qui dédie sa communication du jour aux 1200 soignants ayant perdu la vie en soignant les victimes d’Ebola.
C’est sur ces interrogations que se termine la 3ème session de S3Odeon.
Une crise sanitaire peut entraîner une crise politique
Catégorie
Société
INTERVENANTS
Jean-François DELFRAISSY
THÉMES
Covid 19 | Crise sanitaire
ANNÉE
2018