Xavier de Lamballerie, virologue, spécialiste des virus émergents (Inserm)
Je ne vais pas vous parler de la crise sanitaire actuelle. En 2004, circule dans l’est de l’Afrique un virus, le chikungunya qui est transmis par les moustiques. Il donne une forte fièvre, des douleurs articulaires épouvantables mais la mortalité est faible. En 2005, il va entrer dans l’Océan indien notamment dans l’ile française de la Réunion, qui se croit protégée des maladies tropicales par son niveau de développement. En 2006, le virus va passer sur l’île comme un ouragan. En moins de cinq mois, dans cette île de 800 000 habitants, 350 000 vont être infectés.
Ce que je vais vous raconter vous rappellera peut-être quelque chose. Le gouvernement met en place un conseil scientifique pour guider ses choix. Qui révèle des faiblesses dans la préparation, notamment la lutte contre les moustiques. Les besoins en test sont énormes, mais les files d’attente sont très longues. Les résultats arrivent souvent après la guérison des patients. Les docteurs sont héroïques mais le système de soin est en grande tension. Le préfet demande des renforts, il fait appel à l’armée. On s’aperçoit que les personnes âgées font des formes plus graves. On n’a pas de traitement. On en cherche. On propose une molécule, la chloroquine. On la teste. Sans succès. L’autorité fait l’expérience d’un paradoxe singulier : la demande de protection de la population et la très faible adhésion de cette population aux mesures de protection individuelles. On parlerait aujourd’hui de gestes barrière. Sur l’île, il y a des radios qui sont des forums bouillonnants qui reflètent l’angoisse de la population, sa colère, sa méfiance. Puis, au fil du temps, ces radios relaient des théories fantaisistes sinon « complotistes ». Finalement, l’économie de l’île qui repose sur le tourisme s’effondre. Ces quelques mots vous disent ce que sont les caractéristiques des pandémies émergentes.